lundi 3 octobre 2011

La BCE prisonnière d’une anomalie inhérente à sa conception

Faisons juste un petit état des lieux. Les euro-obligations que la finance gardait précieusement comme plan B viennent de voler en éclat. En effet, Standard and Poors a annoncé hier que les euro-bonds auraient une note lamentable de type « junk bond » s’ils venaient à voir le jour. On se demande encore comment des obligations européennes sans gouvernance fédérale avec seulement 6 états notés AAA pouvaient prétendre avoir les faveurs des agences de notations et des investisseurs.

Ainsi, avec un FESF (fonds européen de stabilité financière) qui tarde à se mettre en place et des pays de la zone euro qui commencent à évoquer à demi-mot la sortie de la Grèce, la BCE commence à se sentir démunie avec ses 192 milliards d’obligations grecques, espagnoles, portugaises et italienne. Ce chiffre donne d’autant plus le vertige quand on sait que les fonds propres de la BCE sont seulement de 10 milliards. En procédant au rachat de 100 milliards de dettes espagnoles et italiennes la semaine dernière, la BCE a mis en péril sa propre survie tout ca pour gagner 5 jours …

Cinq jours, c’est le long-terme pour la finance, surtout quand on sait qu’en 2010 la durée moyenne de détention d’un actif est descendue à 1minute à cause de l’émergence du high-frequency qui représente plus de 70% des volumes journaliers aux USA …

Les choses commencent à se corser pour la BCE puisque ces mauvaises nouvelles commencent à mettre en lumière un « défaut systémique ».

En effet, les banques centrales possèdent un défaut de conception qui ne leur permet pas structurellement de fonctionner correctement. Un économiste, Jan Tinbergen, fut le premier à la montrer du doigt à travers « la règle de Tinbergen ». Ainsi, pour mener à bien des objectifs de politiques économiques (chômage, investissement, inflation etc.) il convient de posséder un nombre équivalent d’instruments. Par conséquent, un outil économique ne doit aucunement servir pour 2 objectifs de politique économique, sous peine de créer un dysfonctionnement systémique.

Or, le problème précisément de la banque centrale européenne, comme de la banque centrale américaine, c’est que le taux directeur sert à la fois à maîtriser l’inflation et à favoriser l’investissement et donc l’activité. La banque centrale européenne, d’inspiration allemande, à tout de suite compris qu’elle s’exposait à de graves difficultés si son taux directeur servait des objectifs contradictoires et a contourné le problème en créant une hiérarchie parmi ces derniers. Ainsi, normalement, la BCE devait prioriser l’objectif de maîtrise de l’inflation. Dans les fais, en venant en aide aux banques et en abaissant son taux directeur à 1% (0% pour la FED pour rappel) elle a décidé de laisser l’inflation filer. Si l’inflation est de 2.5% en août (au dessus de l’objectif de 2% de la BCE), les prix à la production envoient des signaux inflationnistes inquiétants en augmentant à 6.1% en Juillet. D’ailleurs, le chiffre de 2.5% semble peu crédible au regard de la forte inflation observée en Angleterre et dans tous les pays périphériques de la zone euro. A force de créer de la monnaie sans neutralisation et d’arroser les banques de liquidités on pourrait se retrouver dans une situation inédite combinant inflation et récession. Ce scénario n’a pas du tout été anticipé par les autorités et pourrait agir comme une arme nucléaire économique.

Prisonnière de 192 milliards d’actifs souverains toxiques, la BCE ne possède plus aucune marge de manœuvre. Soit, elle laisse son taux directeur à un niveau très bas dans le maigre espoir de soutenir la croissance (et surtout les marchés financiers) et dans ce cas elle laisse l’inflation détruire la consommation, les marges des entreprises ainsi que les rendements financiers. Soit, elle monte son taux directeur et tente de maitriser l’inflation mais dans ce cas elle réduit l’accès au crédit (laissant les banques à leur triste sort) et créent une augmentation des taux d’intérêts des obligations entraînant une dévaluation de ces dernières. Or, si les obligations se dévaluent simplement de 10% sur un portefeuille de 192 milliards alors c’est près de 19.2 milliards qui doivent être portés en dépréciation d’actifs contraignant la BCE à laisser les obligations jusqu’à leur maturité. Dans le cas d’un défaut de paiement de 10% seulement, c’est 19.2 milliards qui disparaissent à tout jamais. On comprend alors le malaise de Trichet face à un défaut de paiement partiel de la Grèce surtout quand on sait que les fonds propres de la BCE se limitent à 10 milliards d’euros.

Certes, la banque centrale pourra alors faire fonctionner la planche à billet à défaut de pouvoir se recapitaliser auprès des états ce qui lui ferait perdre toute crédibilité. Néanmoins, une telle opération alimenterait une forte inflation puisque l’euro n’a pas le statut de devise de réserve et que la confiance qu’il lui est attribué s’érode de jour en jour. C’est dans ce contexte, que l’économiste en chef de la BCE partisan de l’orthodoxie monétaire, Jürgen Stark, à démissionné. Sa décision a eu l’effet d’un véritable coup de tonnerre au sein du monde politique et financier, révélant au grand jour les fortes dissensions concernant les rachats de titres souverains européens. La décision de Stark semble sage car la banque centrale européenne a perdu la seule caractéristique qui justifiait sa création : son indépendance. Elle est à présent clairement à la solde des politiques qui eux-mêmes sont à la merci des marchés financiers.

Alexandre Letourneau

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